Episode 10: Tous les chats sont gris
On discutait de films quand le
grand frère de Chloé est venu la chercher. Il a discuté un peu avec nous et
puis il a regardé Lydia sans dire un mot pendant tout le temps où sa sœur
s’habillait. JC bouillonnait, mais Geoffrey et moi on faisait notre possible
pour lui parler de Jurrassic Parc 3 qui sort l’année prochaine. Il faut dire
que, si ce couple-là n’était pas une évidence pour tous ceux qui les
connaissent, Lydia est magnifique. Et ses nichons, tu n’as pas idée, JC nous
les a déjà décrit en détail. Geoffrey a vraiment réussi à détourner
l’attention, parce qu’il en a profité pour nous montrer le nouveau portable que
sa mère lui a prêté. On envisageait d’ouvrir les Pages Jaunes et d’appeler
n’importe qui, mais personne ne savait comment cacher un numéro, alors on a
décidé de sortir faire quelques conneries dehors.
On s’est sacrément bien
marrés. La plupart du temps, on se cachait à un coin de rue, et celui ou celle
qui était désigné devait courir jusqu’à une porte, sonner et se barrer avant
que les habitants ne voient qui que ce soit. Moi, j’ai eu de la chance, une des
maisons était vide, et on ne m’a pas vu pour la seconde. On a fait un grand
tour du quartier, et on a même utilisé quelques pétards Bison, ceux qui te
ramènent directement une heure de colle au bahut. Il y a quand même eu un
moment bizarre quand on est arrivés dans la rue derrière chez Aude. Elle nous a
montré l’enclos d’un énorme chien que ce voisin utilisait pour faire chier tout
le quartier. Et là, avec JC, ils ont quand même pas eu les jetons de balancer
des pétards dans l’enclos ! J’essayais de ne pas être le premier à courir,
mais j’imagine que si le gars était sorti de sa maison, on aurait passé un sale
quart d’heure. J’essayais de rester avec Gwen, qui a adopté une attitude pour
laquelle elle fait semblant de me voir. On avait même séparés les groupes à un
moment, et elle s’était exprès mise dans l’autre sans un regard.
Arrivés à la maison d’Aude, on
a retrouvé Geoffrey qui balisait d’avoir perdu son chapeau à mille francs,
alors qu’en fait il l’avait laissé sur le canapé. On s’est installés et les
autres ont voulu refaire un poker, mais les filles n’en voulaient pas.
Evidemment, tu imagines, elles voulaient danser. On a eu un gros débat sur les
discothèques (conclusion, on a tous hâte d’aller y faire un tour mais pour des
raisons différentes), et on a fini par mettre la musique avec un gros volume.
Mon plan habituel de « je reste assis et je vous regarde » n’a pas
marché très longtemps, parce que tout le monde devait participer. C’est Aude
elle-même qui est venue me chercher, alors je n’ai pas résisté d’autant que ça
faisait quelques minutes que je ne la quittais pas des yeux. Et Gwenaëlle
alors ? Je ne sais pas, autant elle a semblé aventureuse au cours du
repas, autant elle était distante ensuite. Je décidais de ne pas y penser en me
laissant bercer pour le moment. On a quatorze ans putain, si je n’ai pas le
droit d’essayer d’embrasser la moitié du monde (les filles, quoi) c’est qu’il y
a quelque chose qui cloche. Enfin, avec Aude c’est toujours spécial aussi. Elle
est venue m’appâter, pour aussitôt retourner à sa conversation avec
Geofffrey ! Je me demande si ce petit saligaud n’est pas aussi sur le
coup, l’air de rien.
Inévitablement, on a dansé sur
tous les tubes (et un sacré nombre que je ne connaissais pas), en enchaînant
les chorégraphies. Là, ça a été difficile, parce que les filles arrivaient à se
synchroniser et à faire des trucs de fous, tandis que moi (et Cédric pareil)
j’étais perdu. Mais bon elles sont venues nous aider, et à la fin de deux ou
trois morceaux qui se ressemblaient, on était tous ensemble, c’était cool. Même
si la danse, ce n’est vraiment pas mon truc, personne n’avait l’air de trop se
moquer. Après que nos CDs aient été terminés, Aude a mis la télé, elle a une
chaîne spéciale sur le câble avec des clips de tubes modernes. Et qui dit
tubes… dit aussi slows. Passé 23 heures, il y en a eu plusieurs. Au début, tout
le monde est gentiment retourné s’asseoir en quatrième vitesse. Tout le monde
sauf JC et Lydia, qui se chuchotaient des trucs à l’oreille.
Ca devenait gênant, alors Aude
s’est levée, et s’est avancée vers moi… C’était comme un rêve, sauf que
évidemment, elle a demandé à Geoffrey, assis à côté de moi, s’il voulait bien
danser. Mortifié, je ne me suis levé que vers la fin de la chanson pour aller
demander la main de Gwenaëlle. Qui a dit oui ! J’étais fier. Bien entendu,
ça n’a duré que quelques secondes, mais je me sentais apaisé ! Et puis ce
n’était pas un slow comme dans les colonies de vacances. Non, on était vraiment
dans les bras, avec sa tête appuyée contre mon épaule ! Je pouvais sentir
son parfum, et c’était magnifique, tu imagines. Une senteur orangée, quelque
chose de frais, de la cannelle… Sa robe exhalait le neuf, de cette odeur que je
pourrais renifler à m’en rendre malade. Et la peau se ses bras, douce comme du
velours ! J’étais en transe. A la fin de la chanson, j’ai essayé de faire
abstraction de tout ce qui nous entourait (des baisers mouillés, à l’évidence).
Gwen m’a regardée dans les yeux, et elle
s’est un peu avancée. Je suis sur que j’aurais pu l’embrasser, juste là.
Mais en fait JC était déjà à
côté de nous, il voulait absolument danser avec Gwen pour la prochaine chanson.
Quel connard ! Non seulement il passe la moitié de la soirée dansante avec
la langue dans la bouche de Lydia, mais il vient m’interrompre au pire
moment ! D’ailleurs Gwenaëlle ne s’y est pas trompée. Pour le punir, elle
a fait un rapide pas de côté et s’est presque jetée sur Cédric. Surpris, il en
a quand même bien profité. J’ai laissé passer Céline Dion pour grommeler dans
mon coin, avant de dire oui à Mélanie, qui ne pouvait pas mettre sa tête contre
mon épaule, puisqu’elle était beaucoup plus grande que moi. A la place, on
avait presque les têtes qui se touchaient, c’était… Intéressant ! Mélanie,
qui m’avait percée à jour, m’a demandé si j’avais vu Geoffrey et Aude
s’embrasser. La réponse était non, j’étais trop absorbé, mais là ça dépassait
les bornes ! Rétrospectivement, j’aurais du rester avec Aude dès le
départ ! Mes plans ont changé, d’ailleurs depuis je me suis promis de
détester Geoffrey, et c’est con parce qu’on s’entend bien d’habitude.
A la télé, les pubs étaient de
plus en plus chaudes ! Cédric, JC et moi avons soudainement montré plus
d’intérêt pour la télévision. Aude a vite décidé que les clips, c’était
terminé. Elle a proposé mon jeu préféré pour les fins de soirée, un
Action/Vérité. Tu sais, celui où on te pose la question, Action ou vérité. Il
faut choisir avant même que les autres décident quel sera le défi ! Tu
comprendras facilement pourquoi, dans ce petit groupe, je choisissais toujours
Action (même si je faisais semblant de prendre Vérité de temps en temps pour
changer d’avis au dernier moment). Pourtant, on n’a pas eu le temps d’arriver
jusqu’à moi. Lydia a répondu à une question, Cédric a tenté de s’embrasser le
coude (héhé, impossible) mais arrivé à Geoffrey, il a proposé qu’on aille se
coucher. Petit con ! Enfin, je ne l’ai pas dit. Je n’étais pas fatigué
pour un sou, mais on est quand même tous allé dans nos chambres respectives.
On a dormi dans nos sacs de
couchage avec des petits matelas gonflables. C’était fun, j’étais dans celui
qui était le plus proche de la porte. Au début, on a voulu faire des farces aux
filles, mais personne n’arrivait à se décider : si on débarquait pendant
qu’une d’entre elles se changeait, on allait se faire lyncher. Non, on a joué
la sécurité en prévoyant de débarquer tôt dans leur chambre pour y faire une
bataille de polochons. A la place, on a décidé de se raconter quelques blagues
et des histoires à faire peur. On a donc baissé le volet jusqu’en bas, pour ne
laisser filtrer aucune lumière. Je n’en menais pas large, tu imagines. Les
histoires des autres étaient nulles (et moi je n’avais carrément rien qui
venait), donc on a voulu faire un jeu, mais Cédric (ou JC ?) dormait déjà,
donc on s’est tous alignés. J’étais plus crevé que ce que j’imaginais au départ,
mais j’ai pris une éternité pour m’endormir. C’était une transe bizarre, dans
laquelle j’avais l’impression que le monde entier passait à côté de moi pour
entrer et sortir de la chambre. Une fois, la porte était ouverte pour de bon,
le reste n’était que des rêves.