dimanche 16 septembre 2012

Challenge Numéro 2 : Mortelle Randonnée


Thème proposé par Alex : "Mortelle randonnée"
Forme : Nouvelle, début de roman ou roman entier
Contrainte : pas de science fiction
Publication avant le : 17 septembre

La chaude lumière de ce début de soirée se frayait un chemin entre les arbres, illuminant le sous-bois d’autant de couleurs d’automne qu’il pouvait exister de nuances entre les frênes encore verts et les chênes déjà dépouillés de leurs feuilles. Le chemin forestier semblait briller de mille éclats, reflets des innombrables facettes de quartz accrochées aux pierres de la région. Il restait quelques flaques de la dernière averse qui dessinaient les contours des ornières laissées par les rares véhicules des bucherons locaux et des touristes les plus paresseux. Il faut dire que le point de vue sur la Seine, une vingtaine de mètres en contrebas, prenait à cette heure des allures de petit paradis. Le méandre formait son virage juste sous la colline, laissant au spectateur souvent parisien un aperçu bucolique de la nature. Les oiseaux chassaient et se nourrissaient de poisson, les moustiques gorgés du sang des vaches de la rive opposée venaient pondre dans les eaux inertes, et quelques batraciens coassaient bruyamment leurs appels à la reproduction au soleil rasant.

Suicide, pensait le lieutenant Vintimy. Debout dans le Zodiac de la gendarmerie (le seul qu’on ait pu trouver à des kilomètres appartenait aux schtroumfs, si c’est pas une honte), il se laissait conduire jusqu’à la berge encore vierge de toute présence policière. Ecrasé dans une pose qui rendait ridicule la présence des équipes du Samu appelées en urgence, le corps d’une jeune femme l’attendait. Dans la mort, elle avait la tête tournée vers lui, et Jean Vintimy savait déjà qu’il pourrait l’ajouter à la longue liste des cadavres dont il se souviendrait au moins jusqu’à sa retraite. S’il la voyait un jour, sa retraite, mais ce n’était pas le propos. Habillée chaudement pour la saison, la randonneuse portait de solides chaussures de marche encore propres. Ses cheveux noirs et bouclés s’emmêlaient dans le col de sa veste polaire bleue, remontée sur sa taille au moment de l’impact. Elle ne portait pas de sac, ce qui n’était pas choquant si, comme il le pensait depuis le coup de téléphone du garde forestier, il s’agissait d’un suicide.

Alors qu’il posait son pied botté dans la boue peu profonde qui faisait jonction entre le fleuve et les gravats de la berge, ses pensées furent interrompues par son nouvel et intarissable assistant.
«  - Alors, elle est morte ? » Vraiment. Après dix-neuf ans d’une carrière exemplaire dans la police parisienne. Après sa promotion de lieutenant, sa médaille du mérite pour avoir retrouvé Irina Deprés vivante et débusqué son ravisseur. Après son mariage, son divorce, ses deux autres partenaires dont l’un dirigeait les stups de Marseille et l’autre dirigeait la relation franco-italienne. Après ce service exemplaire, on lui avait assigné le bleu le plus stupide de toute l’histoire des commissariats du 75. Des jeunes, il en avait connu, et un sacré paquet. Mais un comme Matthieu Sandier, jamais. Oui, il avait fini second de sa promotion. Oui il posait souvent les bonnes questions, au milieu des autres. Mais ses qualités semblaient s’arrêter là. Il faisait un café repoussant, s’habillait de travers, ne parlait jamais gonzesses. Et si encore ça s’arrêtait là, le lieutenant  Vintimy aurait fermé les yeux. Mais Sandier était maladroit. Et il ne savait pas tirer droit avec son arme de service, ce qui pour Jean aurait du être éliminatoire.

« Evidemment qu’elle est morte ! Renvoie le Samu, et fais moi amener le légiste ! » Avec ses mains en porte-voix, son timbre portait largement plus loin que les vingt mètres de boue et de buissons accrochés à la pente qui séparaient les deux policiers. A tel point qu’il ne s’écoula pas une dizaine de secondes avant qu’il n’entendit l’ambulance quitter les lieux en crissant des pneus. Alors que le zodiac repartait pour faire la navette avec le photographe de la section scientifique, Jean avait quelques instants avec la victime. Jeune, moins de trente ans, pas de bagues. Pas spécialement à la recherche d’un homme non plus, à en juger par l’absence de maquillage, les ongles inégaux et l’absence d’autres bijoux qu’un double collier fait de lanières de cuir tressées. Sans toucher au corps, il ne voyait aucune bosse de poche, qui puisse lui indiquer son identité. Ah, ce qui passe par la tête des gens, soupira-t-il. Il se tourna côté fleuve. Oui, l’endroit était magnifique. Idéal d’ailleurs, pour qui voudrait en finir rapidement. Ce n’était pas la première qu’il voyait , sans doute pas la dernière. On trouverait une note, chez elle ou chez son ex. Son journal auquel elle aurait confié combien elle ne se supportait plus, ne pouvait plus se contempler dans le miroir. Quelques pilules dans son estomac, demain matin à l’autopsie.

Il serait disponible à partir de demain après-midi, si en plus il pouvait faire taper le rapport par Matthieu Sandier, qui se débrouillait avec un clavier (ce qui dans la police, revient à savoir utiliser plus qu’un doigt pour écrire un email).

Le photographe non plus n’était pas un bavard, il le croisait régulièrement et appréciait son travail rapide, même s’il le traitait comme une petite main. Ces mecs la pouvaient aussi bien être des externes, pour lui. C’était lui, Jean, qui finissait par retrouver les parents de la jeune femme, qui débusquait son ex à la sortie du boulot. Ce qu’il faisait, lui, ça exigeait un talent, un don rare pour savoir qui brusquer et qui brosser pour obtenir la bonne info. Il n’avait jamais fait un faux pas.Il avait d’ailleurs l’impression constante de porter le métier sur ses épaules. Il ne marchait qu’à ça, finissait par laisser tomber le reste, comme son ex-femme ou certaines collègues assez idiotes pour le consoler.

Le soleil déjà couché laissait place à la nuit dans un ciel gris sombre quand enfin le corps pût être ramené jusqu’à l’ambulance de réserve, qui allait soigneusement empaqueter le cadavre dans un sac étanche de caoutchouc traité contre les odeurs. Avant que la tirette ne soit remontée, Sandier était réapparu, bombardant de questions le pauvre photographe, regardant le corps sous toutes les coutures. C’était peut-être un voyeur, allez savoir. Jean, lui, avait préféré s’éloigner fumer sa clope quelques mètres plus loin, sachant pertinemment que son partenaire viendrait partager son opinion avec lui. Ce qui ne prit que quelques minutes.
«  - Une sacré affaire, lieutenant, on en a pas fini, hein ?
    - Vous emballez pas, Sandier, d’ici demain midi on en a fini. On commence avant le café avec l’autopsie, et on se finit le rapport dans la foulée.
    - Mais…
    - Enfin, il est facile celui-là, quoi ! Une femme. Seule. Un peu négligée, sans papiers sur elle. Réfléchissez, c’est un suicide ! C’est typique, il nous manque vraiment plus que l’identité.
    - Mais lieutenant, ça colle pas avec la scène !
    - La scène ? Tu as trouvé quelque chose en haut ? Des traces ?
   -  Des traces, oui, mais rien de spécial. Non, je disais ça pour le corps, évidemment.
   - Le corps ? J’ai passé une heure à côté, Sandier. C’est un suicide, je vous dis.
   - Eh ben… Lieutenant, elle avait son bouton de pantalon fermé de travers. Et sous son pull… Le débardeur a l’étiquette devant, il est à l’envers. »

Et voilà. La messe était dite. Serrant les dents, Jean Vintimy devait admettre qu’il avait fait une erreur. Que le cadavre à côté duquel il s’imaginait la vie d’une femme résolue à mourir grouillait de messages. D’appels au secours. Il y a dans la profession quelques indices de base. Si cela peut arriver à un homme, une femme ne mettra jamais un débardeur à l’envers. Jamais. Elle a donc été rhabillée. N’était pas seule. L’affaire était vraiment une affaire.

Se tournant vers son partenaire, les sourcils froncés, il dut se faire violence. Matthieu Sandier avait des défauts de dimensions gargantuesques. Pourtant, il était flic. Ca se voyait, là, maintenant. C’était très clair. Et c’était à lui, son supérieur, de lui dire qu’il avait raison. De l’encourager. Il faudrait souvent qu’il ravale ses mots acerbes à l’encontre du jeune. Il allait le former. Peut-être même en faire un vrai flic. Un vrai flic, oui, pourquoi pas.
« Un point pour toi, le bleu. On retourne au commissariat, tu vas me montrer ces traces. Et on va trouver qui c’est. Compte pas sur ta nuit, on a du boulot ».

5 commentaires:

  1. Hey mais ça serait pas notre Matthieu Sandier de Find it??? Intéressant de voir qu'un challenge nous amène aux premiers pas dans la police de ce personnage que certains d'entre nous connaissent bien...

    Y'aura-t-il une suite???

    RépondreSupprimer
  2. J'aime beaucoup, on entre dans le roman policier, style que je ne te connaissais pas ^^

    J'ai écris mon texte, sans avoir lu le tiens, véritable challenge pour moi, qui aime les romans à l'eau de rose ^^

    Pari tenu, une fois de plus, on attend les autres défis ! :)

    RépondreSupprimer
  3. Tiens au fait, toi aussi tu te fais des challenges dans le challenge ^^ (perso j'aurais eu du mal à placer un arrosoir...)

    RépondreSupprimer
  4. HA ! C'est sympa de réutiliser un de tes persos pour faire une sorte de "Sandier Begins" ^^

    RépondreSupprimer
  5. PAF PASTEQUE !
    Je voulais te tester sur le terrain du polar et j'ai bien fait ! Le résultat est surprenant.
    J'espère intimement qu'il y aura une suite à ce début de roman.

    RépondreSupprimer